Les plateformes éditoriales vont-elles tuer les créas ?
C'est un refrain que j'entends régulièrement, à chaque fois que j'explique mon métier à des professionnels des arts graphiques. Dès qu'ils entendent que je participe au développement de solutions qui permettent d'automatiser la mise en page, c'est systématique : “mais c'est la fin des graphistes” s'écrient-ils généralement, avant de me jeter ce qu’ils ont sous la main à la figure :o)
Je me suis longtemps questionné à ce sujet, et aujourd’hui, je l’affirme sans ambage : “Non, les plateformes éditoriales ne vont pas ‘tuer’ les créas et les graphistes, bien au contraire”.
Tout d’abord, je pense que dans ce métier, on n’a besoin de personne pour se détruire. La capacité qu’ont les graphistes, freelances, agences de comm, imprimeurs et graveurs à scier la branche sur laquelle ils sont perchés m’a toujours fascinée. Et ces dernières années, ils ont carrément sorti les tronçonneuses : entre des tarifs qui ne veulent plus rien dire, une soumission aveugle aux désirs les plus fous de leurs clients, et des guerres fratricides, ce marché a été complètement destructuré. Au point aujourd’hui que les clients – qui ont une lourde part de responsabilité dans la situation – sont complètement déboussolés.
Quant aux clients, parlons-en : après avoir tiré les prix vers le bas, délocalisé les impressions, puis considéré qu’après tout, “ils pouvaient le faire eux-même”, ils commencent à se rendre compte que finalement, la création, le design et le graphisme, c’est un vrai métier.
Qui doit se respecter.
Tout cela me conduit à penser que les plateformes éditoriales vont aider à restructurer ce marché, et rétablir un équilibre dans la chaîne alimentaire. Je m’explique : le client a besoin d’autonomie, de réactivité, et il n’a plus les budgets pour confier la réalisation d’un petit flyer ou d’un carton d’invitation.
La plateforme éditoriale lui offre cette souplesse et cette autonomie : par contre, elle impose que le client ait à sa disposition des modèles de qualité, faits par un professionnel. C’est là qu’on lui dit : “Stop, fini de jouer. On fait appel à des pros”. Alors, certes, l’agence de comm ou le graphiste “perd” du travail d‘exé. C’est un fait. Mais en contrepartie, son travail de création et de design est revalorisé, et considéré à nouveau comme un point essentiel.
Or aujourd’hui, c’est ce qui a disparu : plus personne ne veut payer de créa, comme plus personne ne veut payer de photo, car on considère cela comme “banal”. Les plateformes éditoriales permettent enfin de remettre les créas à leur juste place, en revalorisant le travail de l’agence au travers de la conception de modèles.
Par ailleurs, je pense aussi que les plateformes éditoriales ont une vertu pédagogique : en permettant au client final de mettre les mains dans le cambouis, elles lui apprennent que finalement, Indesign, c’est pas du game-boy, que c’est long et fastidieux de mettre en forme des pages, d’appliquer des styles… Je suis certain qu’assez vite, les clients finaux garderont la main sur des petits documents faciles et “jetables”, mais confieront avec conviction les documents plus complexes à leur agence, en n’utilisant les plateformes éditoriales que pour le dépôt de contenus, la validation et les corrections en ligne.
Donc vous, créatifs, graphistes, en agence ou en freelance, ne tremblez pas face aux plateformes éditoriales : au contraire, appropriez-vous ce savoir-faire, proposez-le à vos clients, faites-en une nouvelle arme. Vous verrez, vous ne perdrez ni de l’argent, ni du “pouvoir”. Au contraire, vous créerez une nouvelle relation avec vos clients en leur donnant – enfin – le sentiment de participer un peu plus au côté magique de la conception d’un support de communication.