Adobe aurait-elle perdu le feu sacré ?
Ça fait quelques temps que je m'interroge au sujet d'Adobe. Après avoir dominé les années 2000 dans les domaines du print (avec Indesign), de la création web (avec le rachat de Macromedia) et de la création graphique (avec l'incontournable Photoshop), Adobe ne serait-elle pas en train de perdre le "feu sacré" ?
Qu'est-ce qui me fait dire ça ? D'un côté, la récente affaire Apple-Adobe autour de la non-intégration de Flash à l'iPhone. Je n'entrerai pas dans le débat du pour ou contre, je n'ai franchement pas d'avis là-dessus. Mais en tant qu'ancien “communicant”, je ne peux qu'admirer le numéro de passe-passe de Steve Jobs qui a réussi ce tour de force incroyable de se poser en gentil défenseur des formats ouverts contre ce méchant Flash qui est tout fermé… Et il faut reconnaître que la réponse d'Adobe à ce sujet a été un peu "faiblarde", probablement parce que les dirigeants d'Adobe n'ont pas l'aura d'un Steve Jobs auprès du grand public.
C'est un coup de génie, du pur marketing, mais qui d'une efficacité redoutable.
Et même si je suis loin d'être convaincu par les arguments avancés, je suis certain que ce discours va entraîner de profonds dommages collatéraux dans l'industrie du web ; petit à petit, les annonceurs ou les web agencies ne risquent-ils pas de se dire, au moment de choisir une technologie pour développer leur nouveau site web : “est-ce qu'on fait le bon choix ? T'as vu, Apple, ils délaissent le Flash au profit du HTML 5… ”. Sans compter que Flash s'est complexifié avec le temps, devenant un véritable environnement de développement, au point que des solutions simplifiées pour permettre à des non-développeurs de créer des contenus Flash ont récemment vues le jour : Catalyst, Quark Interactive Designer (maintenant dans Xpress 8)…
Sans rêver à un monde 100% open-sauce, on peut légitimement se demander si ces annonces ne vont pas provoquer un effet de mode à l'instar de celui de l'iPhone ou de l'iPad, du genre, “puisque Steve Jobs fait du HTML 5, il FAUT faire du HTML 5. End of story”.
Dans un autre domaine de prédilection d'Adobe – le print – je constate depuis plusieurs mois un revirement progressif du marché.
Certes, Adobe est en position dominante sur le marché des logiciels de PAO desktop, grâce à Indesign… et grâce notamment à Quark, qui a pâti pendant de nombreuses années d'une mauvaise réputation qui a conduit une large partie de sa clientèle à se détourner de ses produits.
“I love the product but the company is the devil.” C'est pas moi qui le dit, c'est Ray Schiavone, le P-DG de Quark… à propos de Quark itself lorsqu'il a repris les rennes de l'entreprise !!
Donc Adobe a réussi en 10 ans à prendre le leadership dans le domaine des logiciels de PAO. Souvent avec brio, parfois avec maladresse, notamment avec un niveau du rythme trop fréquent des sorties de logiciels (CS3, CS4, CS5), rythme que la clientèle a eu parfois du mal à suivre.
Mais si l'on prend le temps d'écouter Ray Shiavone, je trouve qu'on est face à quelqu'un qui a l'aura et le recul d'un petit Steve Jobs : ses interviews, et la manière dont Quark se repositionne doucement laissent à penser que le marché des logiciels monopostes de PAO est en perte de vitesse.
D'ailleurs, la clientèle de ce type de produits (agences, designers, imprimeurs) est en mauvaise santé, économiquement parlant ; et la crise n'aide pas à investir dans de nouveaux produits.
On a ainsi l'impression que Quark sauve les meubles sur son marché historique (le desktop) en consolidant Xpress 8, en l'ouvrant à la production simplifiée de contenus Flash et en tentant de donner de nouvelles "preuves d'amour" à ses clients perdus, tout en adressant de nouveaux marchés via des offres innovantes : les grandes entreprises, avec ses solutions Quark Dynamic Publishing, qui rencontrent un succès indéniable, et les TPE-PME, via une nouvelle offre Quark Promote.
Ce sont donc ces deux "menaces" pour Adobe qui m'interrogent sur les choix stratégiques de cette compagnie : alors qu'elle est attaquée sur plusieurs fronts (sur Flash par Apple, sur les offres web-to-print par Quark, sans compter l'open-source dans d'autres domaines), Adobe semble continuer son chemin à la manière d'un grand paquebot.
Ne nous leurrons pas en tout cas : je suis sûr que la réaction de Steve Jobs aura suffisamment énervé les équipes d'Adobe pour les motiver à produire une réponse à la hauteur du camouflet, surtout si Apple rencontre des problèmes au niveau des lois antitrust. Quant aux applications web-to-print, Adobe dispose d'un atout majeur qu'elle ne met pas trop en avant pour l'instant : Indesign Server, qui est, il faut le reconnaître, une splendide technologie.
Les mois qui viennent s'annoncent passionnants, quoi qu'il en soit !