"Make small feel big" : Cimpress dévoile ses axes stratégiques à mi-exercice

 
Hier se déroulait en live le « FY21 Mid-Year strategy update » de Cimpress, un point à mi-parcours sur le déroulement de l’exercice et les orientations stratégiques, à destination des investisseurs. La présentation a débuté par un état sur les tendances de l’activité, puis a continué sur les orientations du marché et les axes stratégiques du groupe.
 

Une activité en recul de 20% par rapport à l’an dernier depuis janvier

Globalement (si ma traduction est exacte), le groupe a résisté grâce aux actions mises en œuvre, mais depuis janvier, l’activité est en recul de 20% par rapport à la même période l’an passé (pré-COVID -NDLR). "That work was progressing well, and we were seeing the results of this in our prepandemic financial results a year ago, which were strong. Our adjusted EBITDA and adjusted free cash flow were at all-time highs, and we had meaningful increases in our return on invested capital. (…)
 
And we are still dealing with the effects of the pandemic today. And as we mentioned in our December quarterly earnings document just recently, our consolidated bookings in January were down by about 20% year-over-year, and that remains roughly the case last week."
 
 
A noter que Cimpress diffuse l’évolution de ses dépenses publicitaires pour Vistaprint, un graphique riche d’enseignements :
  • on voit nettement qu’entre Q3 et Q4 de FY20, le budget a été fortement réduit (en part de CA, avec un CA en baisse)
  • on constate que la pub représente jusqu’à 22% du chiffre d’affaires de Vistaprint, ce qui est véritablement colossal ! Si l’on considère une moyenne qui devrait se situer aux alentours de 15%, pour un groupe de 1,4 milliard de dollars [source], cela représente tout de même plus de 200 millions de dollars de budget pub !
 

Pivot stratégique sur les services de design pour les TPE-PME

Parmi les constats réalisés par Cimpress dans son rapport de mi-exercice, un ressort nettement : la vitalité des très petites et moyennes entreprises, avec notamment beaucoup de créations de sociétés en période de pandémie. On retrouve dans cette tendance ce que nous avons pu vivre en 2008 au moment de la crise des subprimes, avec une explosion des micro-indépendants et des petites entreprises (NDLR).
Ce constat semble particulièrement vrai aux USA et en Europe.
Cimpress constate que sur ces segments, aujourd’hui le print ne représente qu’une fraction des dépenses marketing des TPE-PME, inférieure à 50%. La majeure partie de leurs budgets marketing étant consacrée (selon Cimpress) au design. Ce constat est illustré dans le graphe ci-dessus, et il est très intéressant de noter que l’Allemagne est mise en avant, alors que c’est un marché sur lequel, jusqu’à présent, le groupe est resté prudent, à part WirMachenDrük en B2B. Et qui probablement l’un des plus difficiles de la planète… Vistaprint DACH va probablement monter en puissance 😉
 
 
La conséquence « logique » de ce constat, c’est que le groupe doit renforcer son offre de services pour capter cette part de budget qui lui échappe sur son cœur de cible. D’où le rachat de 99Designs en 2020…
Robert Keane dans sa présentation explique qu’avec 100 000 designers dans 190 pays, 99Designs complète parfaitement l’offre de Vistaprint, en la renforçant là où elle n’était pas assez performante, à savoir la conception de designs « de qualité », issus de cette plateforme collaborative, par opposition au « template-based » design qui a fait le succès de Vistaprint en mode do-it-yourself
 
 
 

Convergence Design + Print, vers l’uberisation de la conception graphique ?

La lecture de ce rapport m’inspire que la stratégie de plusieurs majors (je pense à Cimpress bien sûr, mais aussi à UnitedPrint avec EasyPrint ou à d'autres) s’oriente vers une offre convergente associant du design-à-la-demande, réalisé par des « experts » (par opposition au template-design) et la production des supports marketing en multicanal, qu’il s’agisse de print, de goodies, mais aussi de supports digitaux comme des micro-sites ou des emailings.
Est-ce une stratégie pérenne et mûrement réfléchie, ou bien une réaction un peu opportuniste pour trouver des relais de croissance alors que l’activité principale traverse un trou d’air ? Difficile à dire à ce stade…
 
A titre personnel, cela m’interroge… D’abord parce qu’en tant que graphiste dans l’âme, je reste convaincu que la « créa » reste une affaire de professionnels, avec un lien de proximité totalement nécessaire. Bien sûr, il est possible de le réaliser à distance, en remote, mais cela suppose de la part du client une capacité à briefer correctement le designer. Or quiconque ayant déjà réalisé des travaux de conception graphique sait bien que 1) le client sait rarement ce dont il a besoin 2) la part de choses qui se devinent en entretien est très forte. Combien de fois m’est-il arrivé de trouver le « concept » ou la bonne idée dans l’atelier d’un client, ou face à un de ses employés en train d’usiner une pièce… Cela demande du temps et de l’implication. Et puis il y a tous les aspects annexes à la conception graphiques : les rédactionnels, les accroches, les visuels… Rares sont les clients qui ont tout préparé en amont…
 
Autre point d’interrogation sur ce pivot stratégique, que l’on retrouve chez d’autres imprimeurs en ligne : croient-ils encore à l’avenir des professionnels des arts graphiques, en tant qu’acteurs économiques, indispensables à la chaîne graphique ? Ce pivot stratégique s’apparente selon moi à une uberisation du design graphique, or clairement, je crains que cela se fasse au détriment des graphistes, webdesigner-euses, UX / UI designer ou illustrateurs de France. Beaucoup des plateformes de crowd-design actuelles s’appuient sur des étudiants souvent étrangers, des freelances aux statuts inconnus… bref de la main d’œuvre très peu chère. Tout cela tend à galvauder le prix du design et de la conception graphique, et à anonymiser cette étape.
 
Le récent lancement par Pixartprinting d’une offre de services graphiques à 29,90 € illustre mes craintes. Est-ce 99Designs qui opère en arrière-plan ? Impossible à savoir, mais le message envoyé au marché n’est pas très sain selon moi, tant il est éloigné des prix de marché.
 
 
Et puis cela interroge aussi sur l’avenir du segment « revendeurs » chez Cimpress, car cette population risque de réagir plutôt vivement à ces nouvelles orientations stratégiques…
 

FoodTruck vs FastFood ?

Ce que m’inspirent ces revirements stratégiques des majors (je ne les limite pas à Cimpress encore une fois), c’est l’exemple du fast food… J’ai le sentiment que d’un côté, nous voyons fleurir chez les majors une industrialisation du package complet design + print, à bas prix, avec un packaging très abouti… Mais à l’inverse, je pense qu’on va voir fleurir comme dans les centre-ville, des food trucks avec des cuistots sympas qui vont proposer une approche différente, créative et qualitative, plus proche de leurs clientèle. Certes, en ce moment, l’exemple n’est peut-être pas le meilleur, mais c’est pour l’illustration 😉
En tout cas, ces orientations du marché doivent inciter chacun.e d’entre nous à réfléchir à la place qu’il souhaite occuper sur le marché, et à la posture qu’il/elle souhaite adopter sur ce marché qui ne cesse de se transformer. 
 
 
Illustrations : CIMPRESS / PIXARTPRINTING