Game-Changer : Canva se lance à la conquête du web-to-print en multipliant les partenariats dans le monde
Créée en 2012 en Australie, et valorisée plus de 6 milliards de dollars 8 ans plus tard, la startup de Melanie Perkins s’est imposée dans le monde de la création graphique comme une véritable alternative aux logiciels traditionnels, tels que Photoshop, Corel ou Illustrator. Son succès fulgurant tient selon moi à trois facteurs déterminants :
- Une offre gratuite – bien que limitée – qui permet à beaucoup d’utilisateurs « pro » de se passer de logiciels payants
- Une orientation délibérée vers les réseaux sociaux, avec des formats et des modèles adaptés à Facebook, Instagram ou Pinterest, qui a généré une adoption rapide
- Une ergonomie incroyable, qui a réussi à mettre la « conception graphique » (j’insiste sur les guillemets) à la portée d’un grand nombre d'utilisateurs
Résultat : aujourd’hui, dans beaucoup de services marketing, les producteurs de contenus n’utilisent quasiment que Canva pour sa souplesse, son faible coût et sa versatilité pour créer des contenus adaptés aux différents canaux qu’ils doivent alimenter. Dans les écoles de marketing ou de commerce également, je trouve que Canva s’impose de plus en plus, et il est plus facile à appréhender que des logiciels historiques, plus complexes… Quant aux influenceurs-ceuses, c’est aussi un succès qui ne se dément pas…
Bref, Canva a réussi en quelques années à se positionner comme outil de référence pour la « créa » sur les réseaux sociaux et le web.
Des revenus portés par les abonnements payants et les solutions Entreprise
Là où Canva a fait très fort, c’est que ses dirigeants ont réussi à monétiser le succès du modèle gratuit : aujourd’hui, d’après ce que l’on peut lire sur le web, les revenus de l’entreprise proviennent des abonnements payants dans le monde professionnel, à 109 € / an (qui, je trouve, tendent à supplanter petit à petit dans les services marketing des abonnements Creative Cloud), mais aussi des solutions Entreprise pour les plus grands comptes, avec un abonnement par mois et par utilisateur, comme pour la messagerie ou les CRM. Aujourd’hui, certaines sources comme Bloomberg annoncent près de 30 millions d’utilisateurs actifs de Canva par mois, et ce nombre devrait croître depuis l’acquisition des plateformes d’images gratuites Pixabay et Pixels.
Partenariats avec les leaders de l’imprimerie en ligne
Canva ne s’est pas limité à transformer le design en ligne : par effet de bord, les marketers et designers en herbe qui utilisaient Canva pour leur page Facebook ou leur compte Instagram se sont mis progressivement à l’utiliser pour leurs rares créations print. Et fort logiquement, l’outil a commencé à s’intéresser à l’imprimé. A l’origine, la version américaine de Canva proposait des fonctions d’impression sur quelques modèles pré-définis, et ce service Canva Print s’est étendu aux autres pays. Mais depuis 1 an, Canva multiplie les partenariats avec des imprimeries en ligne pour s’intégrer totalement aux plateformes, en offrant un nouvel outil de conception graphique aux acheteurs d’imprimés.
Voici la liste des imprimeries en ligne que j’ai pu recenser sur le web et qui ont annoncé un partenariat avec Canva, partenariat qui consiste à intégrer le module de personnalisation dans leur site eCommerce :
- Exaprint España - mars 2021 / Espagne
- Silber Druck / Printnow.de - mars 2021 / Allemagne
- Snap Print & Design - février 2021 / Australie
- KHL Printing / Asie du Sud-Est
- Tradeprint - septembre 2020 / UK
- Office Depot - juillet 2020 / USA
- KiakiaPrint - juillet 2020 / Afrique du Sud
- Fedex Office - juin 2020 / USA
- et c’est pas fini…
Potentiel de Game-Changer du web2print
Très clairement, Canva réussit là où beaucoup ont échoué : s’imposer comme un standard mondial de la personnalisation en ligne et l’édition de document… Je pense que d’ici un an ou deux, l’éditeur en ligne Canva va devenir un standard des sites d’imprimerie en ligne, que les clients B2C exigeront… Pour les imprimeurs, c’est un élément à prendre en compte dans leur architecture technologique et leur stratégie globale, car l’ignorer reviendrait à prendre un risque, et anticiper son choix pourrait ouvrir de nouvelles opportunités selon les clientèles visées. Mais techniquement, cela nécessite certaines compétences…
Pour les éditeurs de logiciels et de modules, comme pour les providers de banques de modèles, c’est une autre histoire : le rouleau compresseur « Canva » change la donne, et va obliger à se réinventer.
Mais ce qui est sûr, c’est que cet outil en ligne va devenir aussi standard que Powerpoint dans les diaporamas ou Acrobat pour les PDF…
Drame ou opportunité pour les « vrais » graphistes et les imprimeurs ?
Avec Canva – c’est sa promesse – tout le monde ou presque peut en théorie créer de jolies bannières, des flyers, des cartes… Soit en création libre, soit à partir de modèles. Pour les graphistes et les professionnels de la conception graphique, c’est à priori une mauvaise nouvelle car de fait, cela leur retire une part conséquente de leurs travaux que leurs clients prennent en charge intégralement.
Je relativiserai ce risque toutefois : d’une part, Canva va « standardiser / niveler » la création graphique, au risque de créer un style qui va se répéter un peu partout, et qui peut-être peut nuire à l’originalité. Et à terme, renforcer la quête du « design sur-mesure » . Par ailleurs, si vous avez travaillé quelques temps avec des templates, de l’édition en ligne et du web-to-print, vous savez que l’édition en ligne de document a ses limites. Sur les documents simples, elle est tout à fait adaptée… Mais dès que l’on se projette sur des documents sophistiqués, longs ou complexes, ou des supports qui nécessitent de l’expertise, ce type d’outil ne suffit plus… et ne suffira pas avant longtemps. C’est mon point de vue.
Donc je pense que paradoxalement, Canva va remettre en évidence l’expertise et le savoir-faire des vrais graphistes, qui prendront le relais lorsque les utilisateurs auront atteint leurs limites sur Canva.
Pour les imprimeurs, il y a du bon et du moins bon. Le moins bon, c’est qu’avec Canva, ils risquent de récupérer des fichiers dans un format ou une résolution pas forcément tip-top… Il faudra adapter les flux ! Le bon voire le très bon côté, c’est que Canva va mettre le print à portée d’une génération digital-native. Et je suis convaincu qu’elle va adorer créer des objets imprimés et personnalisés aussi facilement qu’une bannière Instagram ! Par ailleurs, comme expliqué précédemment, Canva via son module ouvre de nouvelles perspectives en termes de fonctionnalités web-to-print, et ça c’est stratégiquement intéressant.
Rachat par qui et quand ?
Si vous me suivez depuis un certain temps, vous savez que je « parie » gentiment sur le rachat de Canva par un leader de l’IT, du eCommerce ou de l’imprimerie. Je suis convaincu que d’ici un an ou deux, Canva sera rachetée par Amazon, Adobe, Apple, Cimpress ou Microsoft. Son potentiel est tellement énorme et large, qu’il présente un intérêt stratégique pour les modèles économiques de toutes ces entreprises… Wait and see comme on dit !
Pour aller plus loin :
- Programme partenaire « Print Partner » pour les imprimeurs
- Site de démo de PrintPartner
- Documentation technique de PrintPartnership by Canva
- Tarification Canva