Les conséquences de la guerre en Ukraine sur l'imprimerie et le web-to-print
Comme beaucoup d’entre vous, j’ai été horrifié par les évènements survenus en Ukraine dans les jours passés et par les souffrances que subissent les ukrainiens. La brutalité de cette guerre paraît irréelle, tant les images et les vocabulaires employés nous ramènent des années en arrière, au plus fort de la guerre froide. Comme le répètent en boucle les chaines d’info et les journaux, « la guerre est aux portes de l’Europe », et nul ne sait ce qui va se passer… si ce n’est que comme pour le Covid, l’ordre et l'équilibre du monde vont être bouleversés, probablement à des niveaux comparables à la chute du mur de Berlin et aux attentats du 11 septembre.
Même si cela paraît dérisoire au regard de ce que subissent les victimes de ce conflit, il me semble important de s’interroger sur les conséquences potentielles de cette guerre sur l’activité de notre filière, afin d’anticiper les changements à venir. Je vous livre ici quelques éléments d'analyse…
Climat d’incertitude chez les annonceurs
Avec Omicron et les élections présidentielles, la période n’était déjà pas très favorable aux investissements publicitaires en France, les annonceurs jouant l’économie tout en reportant leurs budgets vers le webmarketing. Les échos du conflit accentuent l’incertitude des annonceurs, dont la réaction à prévoir est celle de la prudence et de l’attentisme : je crains donc que beaucoup de budgets soient gelés ou réduits, le temps de voir comment la situation évolue. Par effet de bord, cela risque d’affecter aussi les évènements professionnels, avec des reports de dates ou des annulations chez les exposants, comme nous venons de l’apprendre pour Labelexpo Europe.
Hausse des coûts des matières premières et énergétiques
La crise ukrainienne, on le sait déjà, va entraîner une hausse des énergies, comme le pétrole et le gaz. Par effet de boule de neige, ces hausses vont impacter toutes les étapes de la chaîne de l’imprimerie, notamment les matières premières (papiers, cartons, encres…) qui sont déjà très secouées… Parallèlement, il est à prévoir que certains papetiers voient leur capacité de production réduite, à l’image de Stora Enso qui vient d’annoncer l’arrêt de ses unités de production russes, et je pense que les tensions vont engendrer la mise en place de réserves stratégiques dans de nombreux états. Les ruptures d’approvisionnement et les hausses continues de prix risquent donc de s’accentuer pour plusieurs mois encore…
Risque Cyber
Par la voix de l’ANSSI, le gouvernement français alerte depuis plusieurs jours les entreprises du pays sur l’augmentation du risque d’attaques cyber. Risque qui va augmenter encore à l’approche des élections. Qu’elles vendent en ligne ou non, les imprimeries doivent donc vérifier leurs plans de continuité et de reprise d’activité, mettre à jour leurs procédures de sécurité, si besoin renouveller les mots de passe ou renforcer la sécurité des accès, tester les sauvegardes et surtout, sensibiliser tous les collaborateurs à l’accroissement du risque, pour renforcer la vigilance. Vérifiez également votre couverture risque cyber avec votre assureur professionnel.
Déstabilisation des plateformes web-to-print basées en Ukraine
Dans le web-to-print et le print-on-demand, comme dans l’industrie logicielle plus largement, l’Ukraine constitue depuis plusieurs années la base arrière de nombreuses sociétés européennes. Ces derniers jours, les posts et témoignages d’entreprises du secteur se sont multipliés en soutien à leurs collaborateurs localisés en Ukraine. Pour une durée qui risque je le crains d’être longue, les équipes de développement ou de marketing basées en Ukraine vont être indisponibles, ce qui va inévitablement engendrer des désorganisations chez certaines de ces plateformes, le temps qu’elles renforcent leurs structures sur d’autres territoires ou que la situation internationale, espérons-le, s’améliore. L’impact est similaire – comme je l’expliquais dans un post fin février – chez les nombreux sous-traitants du secteur de l’IT, notamment dans l’édition logicielle.
Risque d’embargo sur les technologies russes
Dans l’IT, le risque ne se situe pas uniquement du côté des sous-traitants ou des développeurs ukrainiens. Dans le domaine des flux pré-presse, du web-to-print ou du contrôle de fichiers, un certain nombre de technologies sont développées par des sociétés russes. Parmi les sanctions prises par l’Union Européenne et les Etats-Unis, on constate principalement des restrictions d’export de technologies vers la Russie. Mais je crains que ces embargos touchent bientôt les logiciels développés en Russie, soit à l’initiative des autorités russes, soit par sanction de l’Union Européenne, ou par mesure de sécurité. Les équipes support de ces éditeurs risquent aussi d’être considérablement gênées dans leurs déplacements… Il est donc important d’auditer les différents outils que vous utilisez ou que vous envisagez d’acquérir pour traiter également ce risque potentiel, en connaissance de cause.
Aversion au risque accrue chez les donneurs d'ordre
Le « dérisquage », un terme revenu à la mode chez les acheteurs depuis la crise sanitaire… Et que le conflit en Ukraine va accentuer. Après des années de sous-traitance accrue dans les Pays de l’Est, je pense que beaucoup d’acheteurs vont reconsidérer leurs chaînes d’approvisionnement en imprimerie pour réduire leur exposition au risque dans cette zone. Cela ne signifie pas qu’ils aillent stopper brutalement leurs approvisionnements. Je pense plutôt qu’ils vont chercher des plans alternatifs pour sécuriser leur supply-chain face aux différentes hypothèses, et parmi ces plans alternatifs, les circuits plus courts en relocalisé vont avoir le vent en poupe, comme en plein milieu de la crise sanitaire.
Autre conséquence, il est probable que des donneurs d’ordre augmentent leurs volumes de commandes dans les semaines qui viennent pour sécuriser leurs approvisionnements face aux risques cumulés de pénurie de matières premières, de hausses des prix et de tensions internationales.
Nouveaux accords transatlantiques ?
La guerre en Ukraine a fait l’effet d’un électrochoc au sein de l’Union Européenne et de l’Otan. Par voie de conséquence, je pense qu’un certain nombre de tensions larvées depuis plusieurs mois entre l’UE et les USA vont être apurées. Notamment, je suis convaincu qu’un nouvel accord transatlantique va très vite aboutir sur le sujet des transferts de données, sur le principe du Privacy Shield. Des signaux récents semblent aller en ce sens…
Vers une accélération des réindustrialisations ?
Sur un plan industriel, si la pandémie avait révélé notre dépendance à l’Asie, la crise ukrainienne révèle la dépendance de l’UE aux énergies russes, et le besoin de renforcer un outil de production au sein de nos frontières. Je pense que plus que jamais, la relocalisation de l’industrie va devenir une urgence stratégique, qu’il s’agisse des moyens de production, des machines-outils ou des matières premières. Pour l’imprimerie, je pense que cela va se traduire par de probables nouvelles fiilières de recyclage et de production de matières de base, et peut-être par une incitation au renforcement de la filière.
En attendant, je vous invite à soutenir la Croix-Rouge qui lance un appel aux dons en faveur des populations victimes de la guerre…
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